LECTURE au Grand Parquet dimanche 5 juin à 17h30 dans le cadre du Festival « Hauts parleurs »
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Je ne veux pas d’une Europe funeste.
Je ne veux plus voir les citoyens s’épuiser à la tâche du fait de gouvernements inconséquents.
Je ne veux plus perdre de temps.
Je veux des frontières ouvertes et je veux que mon pays apprenne à recevoir ces femmes, ces enfants et ces hommes qui viendront dorénavant chaque jour plus nombreux.
Je ne peux plus rester muette face au pourrissement de la situation.
En attendant, je peux partager mon repas, ma salle de bain, proposer un lit, du temps, des jeux, des chants.
Je peux ainsi m’émerveiller d’être ensemble, d’entendre nos différences.
Je peux prendre le temps d’être accueillie par ceux, en exil, qui échouent chez nous.
Je peux sentir les passages, les échecs, les larmes, l’espoir, l’obstination tendue vers un ailleurs. Nos soucis citoyens à l’égard de nos gouvernements ne sont évidemment pas un sujet pour eux.
Je peux aller à la rencontre sur les camps et me retrouver en voyage, au Kurdistan précisément, accueillie par ceux-là même qui s’exilent ici.
Oui ! Sur un campement, je peux être accueillie chez ceux qui ne sont pas d’ici – malvenus – et qui ont cette ressource immense de m’accueillir encore.
Je peux demander aux nouveaux arrivants ce qui leur plait en France et c’est les villes, propres et belles, les parcs luxuriants, les plages et les filles d’ici, si grandes et ouvertes aux autres.
Je pourrais m’échouer avec eux par solidarité, par impuissance face aux politiques.
Mais je préfère me hisser et comme eux, me tenir debout, confiante dans ma capacité d’embrasser l’urgence. La nécessité.
Je peux marcher sur le campement sud de Calais et éprouver la nausée en arpentant la terre rasée. Plus rien que ces restes d’histoires arrachées au sol ; petits objets plantés dans le sable à chaque endroit. Mon plexus sort devant, lourd, arraché.
Et je pourrais vomir en mettant les pieds sur ce sol sinistré. Je marche sur le désastre à cet instant précis : l’échec de l’humain ; eux et nous.
Je peux constater l’échec en dépit des milliers de volontés fortes et radieuses ; de leur côté comme du nôtre.
Je peux m’arrêter, respirer, être calme… au moins un instant. Tourner cet état vers la liberté ; mon désir de liberté pour eux, pour ne pas entraver leurs innombrables chemins.
Je peux voir la beauté dans la catastrophe.
Je peux ouvrir les bras, crier aux falaises d’en face, à la mer, prendre la force du vent, me mêler à tout pour favoriser la traversée des corps.
Je peux organiser un pont humain entre Calais et Douvres constitué de bateaux arrimés bout à bout.
Je peux détourner un ferry, y faire monter le monde. Rendre la vie à la vie.
Je peux mettre au point une capsule sous-marine mono-place qui pourrait se ventouser à la coque des bateaux qui partent pour l’Angleterre.
Je peux crier sur la grève, dans la nuit ou les institutions ; partout crier mon refus.
Je peux avoir peur d’être étrangère dans mon propre pays… moralement parlant.
Je peux écrire contre la France qui glisse, contre la France qui demande un passeport pour accéder à la piscine, à l’hôtel, à la médiathèque ; et écrire encore contre celles et ceux qui ne désobéissent pas aux directives.
Je peux voir les nœuds putrides dans l’esprit de certain.
Je peux voir la peur chez l’autre qui n’est autre qu’une fiction dont il se comble pour se sentir vivant.
« SDF go home ! », « Oui ! Oui ! Oui ! A l’islamophobie ! », « TF1 sur toutes les chânes ! », « More borders ! », « Moins de protection et plus de répression ! », « Eteignez les lumières », « Touche pas à mes frontières ! », « Haïe ton prochain comme toi même », « Xénophobie, debout ! » « Humaniste, t’es foutu, les fachos sont dans la rue », … Je peux inverser les slogans pour révéler notre chute.
Je peux travailler sur la colère, tenter de ne pas la laisser pénétrer, ne plus la ressentir et cependant agir.
Je peux exiger de l’Europe une véritable politique de développement à l’endroit de ces pays dit « pauvres ».
Je peux organiser une grève générale des impôts tans que mon pays ne cesse de placer ses armes ailleurs, alors qu’il n’est pas attaqué.
Je peux appeler à la grève générale des loyers tant que nos villes ne mettent à disposition des bénévoles et des nouveaux arrivants les locaux vacants dont elles disposent.
Je peux demander à mon armée de lever à Paris un camp à la hauteur de celui de Grande Synthe. Un campement digne pour eux et pour nous.
Je peux fondre le eux dans le nous.
Aussi, je peux m’étonner moi-même et me déplacer.
Je peux me ressaisir d’une forme de fierté et ne plus la laisser rancir dans la bouche des autres, ceux de l’autoproclamée « France apaisée » afin de déclarer :
Je suis française !… Je suis française !